• Alicja Tysiąc est une ressortissante polonaise âgée de 35 ans qui réside à Varsovie.

    Souffrant depuis des années d'une forte myopie (environ – 20 dioptries à chaque oeil), la requérante décida de consulter plusieurs médecins lorsqu'elle eut connaissance de sa troisième grossesse en février 2000 ; elle craignait que celle-ci ait un impact sur son état de santé.

    Les trois ophtalmologues que Mme Tysiąc consulta conclurent chacun qu'elle encourait de sérieux risques pour sa vision si elle menait sa grossesse à terme, mais refusèrent, en dépit de ses demandes, de lui délivrer un certificat qui lui eût permis de bénéficier d'un avortement thérapeutique[1]. La requérante consulta également un médecin généraliste qui lui délivra un certificat confirmant les risques que sa grossesse lui faisait encourir en raison de ses problèmes de rétine et de ceux liés à un nouvel accouchement après deux césariennes.

    Au deuxième mois de grossesse, à savoir en avril 2000, la myopie de la requérante s'était déjà aggravée et elle présentait alors – 24 dioptries à chaque oeil.

    Le 26 avril 2000, Mme Tysiąc fut convoquée à l'hôpital public, par la clinique gynécologique et obstétricale de Varsovie afin de procéder à un avortement. Elle fut examinée par le responsable de ce département, le docteur R.D. ; celui estima qu'aucune raison médicale ne justifiait un avortement thérapeutique. En conséquence, la requérante ne put avorter et donna naissance par césarienne à son troisième enfant en novembre 2000.

    A la suite de l'accouchement, la vue de la requérante se détériora considérablement en raison de ce que l'on diagnostiqua être une hémorragie rétinienne. Un collège de médecins constata que son état requérait des soins et une assistance quotidienne et lui reconnut le statut d'invalide.

    Mme Tysiąc déposa une plainte pénale contre le docteur R.D., laquelle fut classée par le procureur au motif qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre la décision du médecin et la baisse de vision de la requérante. Le médecin ne fit par ailleurs l'objet d'aucune sanction disciplinaire.

    Mme Tysiąc, qui élève ses trois enfants seule, est aujourd'hui invalide et perçoit à ce titre une pension mensuelle de l'équivalent de 140 euros. Elle ne peut voir à plus de 1,50 mètres de distance et craint d'être atteinte à terme de cécité.La requérante estime qu'elle remplissait les conditions légales pour se voir reconnaître la possibilité de procéder à un avortement thérapeutique. Elle soutient que le fait de ne pas l'avoir autorisée à interrompre sa grossesse en dépit des risques qu'elle encourait a emporté violation des articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des Droits de l'Homme. De plus, elle allègue que la Pologne a manqué à son obligation positive découlant de l'article 8 du fait de l'absence de mise ne place de procédure ou structure permettant à des femmes enceintes de revendiquer le droit d'obtenir un avortement thérapeutique, rendant ainsi ce droit inopérant.Invoquant l'article 13 (droit à un recours effectif), la requérante soutient également n'avoir disposé d'aucun recours pour dénoncer les atteintes ainsi portées à son droit au respect de la vie privée. Par ailleurs, sur le fondement de l'article 14 (interdiction de la discrimination), la requérante allègue avoir été discriminée en raison de son sexe et de son handicap

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    Issu d'une famille de vieille ascendance judéo-portugaise (séfarade) du nom de "Mendes de França" installée à Bordeaux, Rochefort, Louviers et

    Paris, Pierre Mendès France devient en 1928, après des études de droit et un passage par l'École libre des sciences politiques, le plus jeune avocat de France ; il a alors 21 ans. Très intéressé par les questions économiques et financières, il soutient en mars 1928 une thèse sur la politique de redressement du franc menée par Raymond Poincaré, dans laquelle il salue son action monétaire, mais critique les conséquences économiques et sociales de la politique de restauration du franc.Parallèlement à ses études, il se tourne vers le militantisme. Il sera l'un des membres dirigeants de la Ligue d'action universitaire républicaine et socialiste, un mouvement étudiant d'opposition à l'extrême droite, très actif dans le Quartier latin à la fin des années 1920. Pierre Mendès France apparaît alors comme l'un des espoirs du Parti radical auquel il est inscrit depuis l'âge de seize ans. Il fait partie, aux côtés de Jacques Kayser, Gaston Bergery, Pierre Cot, Jean Zay ou encore Bertrand de Jouvenel, des « Jeunes Turcs » qui réclament un renouvellement de la doctrine du mouvement, demandent son ancrage à gauche et contestent les orientations de la direction du mouvement incarnée par la figure historique d'Édouard Herriot.Député de l'Eure à partir de 1932 et maire de Louviers à partir de 1935, il prend la tête de la commission des douanes de la Chambre des députés, avant d'être nommé sous-secrétaire d'État au Trésor dans le deuxième et éphémère gouvernement Léon Blum (du 13 mars au 8 avril 1938). La gauche (PCF compris) s'abstenant lors du vote du 9 juillet 1936 à propos de la participation française aux JO de Berlin, organisés par le régime nazi, Pierre Mendès France est le seul député de gauche à voter contre, soutenant ainsi les Olympiades populaires organisées par le Front populaire espagnol. Mendès France élabore ensuite avec le directeur de cabinet de Léon Blum, Georges Boris, un projet de réforme économique audacieux, axé sur le contrôle des actifs et sur le soutien à l'investissement militaire dont l'exposé des motifs se réclame pour la première fois en France de précepts keynésiens. Très contesté, ce projet sera rejeté par le Sénat, ce qui précipite la chute du Gouvernement.

     

    La bête noire de l'extrême droite  Ses origines juives, ses positions sur la décolonisation et sa politique de fiscalisation des bouilleurs de cru firent cependant de Pierre Mendès France l'une des cibles favorites, en utilisant par exemple son aspect de « chien battu », de l'extrême droite et du mouvement poujadiste représentée à l'Assemblée à partir de 1956 par Jean-Marie Le Pen. Pierre Poujade lui a ainsi lancé en 1955 : « Si vous aviez une goutte de sang gaulois dans les veines, vous n'auriez jamais osé, vous, représentant de notre France producteur mondial de vin et de champagne, vous faire servir un verre de lait dans une réception internationale ! C'est une gifle, monsieur Mendès, que tout Français a reçue ce jour-là, même s'il n'est pas un ivrogne. » [2]Pierre Mendès France sera le seul député à s'opposer jusqu'au bout à la participation française aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, sous la férule nazie. [3]De nombreux établissements scolaires et universitaires portent son nom (à Paris et Grenoble), ainsi que le lycée français de Tunis.Pierre Mendès France était titulaire, entre autres, de la Croix de Guerre et la Médaille de la Résistance.En 1933, Pierre Mendès France épouse Lily Cicurel (1910-1967). Ils ont deux enfants : Bernard Mendès France (1934-1991) et Michel Mendès France (né en 1936). En 1971, Pierre Mendès France épouse Marie-Claire de Fleurieu (née Servan-Schreiber).Michel Mendès France a épousé Joan Horsley. Ils ont eu deux enfants : Tristan Mendès France (1970) et Margot Mendès France (1975).


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  • <script src="http://www.compteur.cc/effets/effets.php?id=4&msg=KORTOBA LE BLOG SOCIALISTE&taille=grande"></script>

    Desmond Tutu est le fils d'un professeur et d'une femme de ménage. Il fait ses études dans la ville de Johannesburg. Il veut dans un premier temps devenir médecin, mais de telles études coûtant trop cher pour sa famille, il se destine à devenir, comme son père, professeur. De 1951 à 1954, il fait ainsi ses études, et commence à enseigner en 1954 au Johannesburg Bantu High School. Mais il démissionne en 1957, pour protester contre la mauvaise qualité de l'enseignement donné aux noirs.

    Il décide alors de s'orienter vers la théologie. Il est ordonné prêtre de l'Église anglicane en 1961 et devient l'aumônier de l'université réservée aux noirs, Fort Hare. Fort Hare est à l'époque une des seules universités pour les noirs d'Afrique du Sud ; les principaux dirigeants actuels du pays y ont étudié. Desmond Tutu obtient en 1966 une maîtrise en théologie au King's College de Londres, et retourne ensuite en Afrique du Sud, où il travaille comme professeur de théologie.

    De 1972 à 1975, il retourne en Angleterre, où il est le vice-directeur du Theological Education Fund of the World Council of Churches, à Bromley dans le Kent. Nommé doyen du diocèse de Johannesburg en 1975, il est le premier noir à occuper ce poste. Il devient évêque du Lesotho (1976-78), puis premier secrétaire général noir du Conseil œcuménique d'Afrique du Sud (1978-85).

    Durant toutes ces années, il n'a cessé de faire passer son message de paix et de non-violence. Il dénonce aussi bien le régime de l'Apartheid, que les noirs qui réclament vengeance. Pour lui, la paix entre les peuples est la seule voie possible. C'est pour ce combat pacifiste contre le régime de l'Apartheid, qu'il reçoit le 16 octobre 1984, le Prix Nobel de la paix.

    Auréolé de sa nouvelle stature internationale, le 7 septembre 1986, il est nommé archevêque de l'église anglicane d'Afrique du Sud. Cette nomination n'est pas du goût de ses opposants. Il organise alors des protestations contre la ségrégation raciale et des campagnes de boycottage, dont celle du charbon d'Afrique du Sud. Il milite également pour des écoles communes, qui représentent pour lui une étape essentielle dans la réconciliation de l'Afrique du Sud. Il milite également contre la réglementation des déplacements des noirs, les « pass-laws ».


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  • Tous les ingrédients d'un désastre stratégique américain

    Imperturbable, le président George W. Bush renforce l'intervention militaire en Irak et envisage de s'en prendre à l'Iran. Rien

    ne l'a fait changer de cap, ni les revers de son armée, ni le désaveu des électeurs américains, ni l'opposition d'une grande

    partie des capitales étrangères. Au nom de la menace chiite, la Maison Blanche tente de rassembler autour d'elle des

    dirigeants arabes complaisants mais dubitatifs quant à la fiabilité de la direction américaine.

    Par Hicham Ben Abdallah El Alaoui

    Après la révolution iranienne de 1979, certains responsables politiques américains ont été séduits par l'idée que les forces

    islamiques pouvaient être utilisées contre l'Union soviétique. Selon cette théorie, élaborée par M. Zbigniew Brzezinski,

    conseiller à la sécurité nationale du président James Carter, il existait un « arc de crise », qui s'étendait du Maroc au

    Pakistan, et, dans cette zone, on pouvait mobiliser l'« arc de l'islam » pour contenir l'influence soviétique (1). Après tout,

    ces forces islamiques conservatrices n'avaient-elles pas déjà servi dans les années 1960 et 1970 pour marginaliser et

    mettre en échec des partis de gauche et nationalistes laïques dans la région, et d'abord en Iran en 1953 ? Le fondamentalisme iranien ne pourrait-il pas être le catalyseur d'une insurrection musulmane dans le « ventre mou » de l'Union soviétique ?

    Ultérieurement, les Etats-Unis oscillèrent entre plusieurs politiques au Proche-Orient et en Asie centrale. Ils n'avaient qu'un double objectif, la victoire dans la guerre froide et le soutien à Israël, mais les moyens utilisés et les Etats soutenus variaient, parfois de manière contradictoire. Les Etats-Unis ont appuyé officiellement l'Irak dans la guerre contre l'Iran (1980-1988), au moment même où ils acquiesçaient à la livraison d'armes israéliennes à l'Iran. A l'époque, c'étaient les conservateurs proches de Tel-Aviv qui œuvraient activement à un revirement en faveur de Téhéran, car Israël considérait encore le nationalisme arabe laïque comme son principal ennemi et soutenait les Frères musulmans dans les territoires occupés palestiniens pour faire contrepoids à l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). L'apogée de cette stratégie fut l'alliance de Washington avec l'Arabie saoudite et le Pakistan, qui permit notamment, dans les années 1980, la création d'une armée internationale du djihad pour combattre l'Union soviétique en Afghanistan (2).

    En 1990, alors que s'effaçait l'Union soviétique, les Etats-Unis bâtirent une coalition internationale pour évincer l'armée irakienne du Koweït. Des Etats arabes, de la Syrie au Maroc, répondirent positivement à un appel fondé sur le droit international et les résolutions de l'Organisation des Nations unies (ONU). Ils avaient reçu l'assurance qu'il ne s'agissait pas seulement de sauver une monarchie pétrolière amie, mais d'établir un nouvel ordre fondé sur la justice internationale. Une fois la souveraineté du Koweït rétablie, toutes les résolutions de l'ONU devaient être appliquées, y compris celles exigeant le retrait israélien des territoires palestiniens occupés.

    Pions arabes de Washington

    Malgré les pressions, l'administration américaine décida de ne pas renverser le régime du président Saddam Hussein. « Pour renverser Saddam (...) il nous fallait engager des forces militaires. Une fois débarrassés de Saddam Hussein et de son gouvernement, nous aurions dû instaurer un nouveau gouvernement. Mais quel type de gouvernement ? Un gouvernement sunnite ou un gouvernement chiite, un gouvernement kurde ou un régime baasiste ? Ou peut-être voulions-nous faire participer certains fondamentalistes islamiques ? Combien de temps fallait-il rester à Bagdad pour maintenir en place ce gouvernement ? Qu'allait-il devenir après le retrait des forces américaines ? Combien de pertes les Etats-Unis pourraient-ils accepter pour tenter d'instaurer la stabilité ? Mon opinion est que (...) nous aurions commis une erreur en nous retrouvant empêtrés dans le bourbier irakien. Et la question qui me vient à l'esprit est : combien de pertes américaines supplémentaires vaut Saddam ? La réponse est : sacrément peu (3). » Cette opinion mesurée était celle du secrétaire à la défense de l'époque, M. Richard Cheney. L'actuel vice-président des Etats-Unis...

    Ceux qui recommandaient alors vivement un « changement de régime » à Bagdad pouvaient être rassurés par les sanctions infligées à l'Irak pendant plus d'une décennie. Ils s'organisèrent en groupe de pression, dont le Project for the New American Century, et bâtirent méthodiquement un soutien politique à une future attaque contre l'Irak, dès que les circonstances s'y prêteraient. Les Israéliens, entre-temps, furent réconfortés de voir que la brève tentative du secrétaire d'Etat James Baker, à partir de la conférence israélo-arabe de Madrid d'octobre 1991, de faire appliquer la politique américaine officielle en Palestine était progressivement abandonnée. Le « processus de paix » n'était plus, après 1996, qu'une couverture au doublement des colons en Cisjordanie.

    Plus à l'est de l'arc de crise, le dénouement de la guerre en Afghanistan se jouait entre les chefs de guerre de l'Alliance du Nord et les talibans. Avec la fin de la guerre froide, les Etats-Unis se reposèrent totalement sur le Pakistan, qui s'engageait lui-même vers un régime militaire islamisé auquel un Afghanistan islamiste offrait une profondeur stratégique contre l'Inde. La victoire des talibans, largement favorisée par les services de renseignement de l'armée pakistanaise, permit à Islamabad de renforcer ses liens avec le nouveau régime.

    Ainsi, tout au long de ces décennies, les Etats-Unis n'ont jamais pris en compte les aspirations des peuples arabes et musulmans. Des politiques ont été menées, des armées ont été mobilisées, des alliances se sont faites et défaites, des guerres ont été livrées sur les terres et les corps des Arabes et des musulmans, mais pour des raisons toujours liées à d'autres intérêts. Les incohérences et les revirements des politiques à l'égard de l'Irak, de l'Iran, des fondamentalismes chiite et sunnite, de l'idéologie du djihad, de la dictature, de la démocratie, de la monarchie absolue, de Yasser Arafat et de l'OLP, des colonies israéliennes et du « processus de paix », etc., l'illustrent bien. Les Etats-Unis se sont mobilisés pour leurs objectifs propres - que ce soit pour garantir leur approvisionnement en pétrole, pour gagner la guerre froide, pour affirmer leur hégémonie ou pour soutenir Israël - et, dès que l'un d'eux était atteint, ils « oubliaient » toutes les préoccupations des Arabes et des musulmans qu'ils avaient invoquées pour recueillir leur soutien.

    Rien n'est plus insultant pour le monde arabe et musulman que cette célèbre réponse de M. Brzezinski, trois ans avant le 11 septembre 2001. A une question sur les éventuels regrets qu'il aurait pu ressentir pour avoir permis la mise en place, grâce à l'aide américaine, d'un mouvement djihadiste afin de provoquer l'invasion soviétique de l'Afghanistan, il rétorqua : « Regretter quoi ? (...) Qu'est-ce qui est le plus important au regard de l'histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l'empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l'Europe centrale et la fin de la guerre froide (4) ? »

    C'est sur un tel terrain que se sont joués les événements « qui ont changé le monde » ces cinq dernières années - des attaques du 11-Septembre à l'invasion et à l'occupation de l'Irak. En 2003, la seule « victoire » américaine possible aurait été une transition rapide vers un Etat stable, unifié, démocratique, non théocratique et surtout non occupé. C'était un pari très risqué et il a été perdu. Selon un général américain à la retraite, c'est même le « plus grand désastre stratégique de l'histoire des Etats-Unis (5) ». Cette défaite est irréversible.

    Le gagnant est de toute évidence l'Iran. La stratégie américaine de démantèlement de l'armée et des structures baasistes de l'Etat irakien a permis d'éliminer l'ennemi traditionnel de Téhéran, tandis que la confiance américaine dans les cléricaux chiites a aidé les alliés de l'Iran à l'intérieur de l'Irak. Washington a ainsi renforcé l'Etat même contre lequel il prétendait lutter.

    Les répercussions sont considérables pour les Etats-Unis et pour le monde arabo-musulman tout entier. Le nationalisme arabe laïque et de gauche, qui avait défini le cadre idéologique de la résistance à la domination occidentale, a cédé le terrain devant des courants islamistes qui enferment cette résistance dans des idéologies profondément conservatrices. Les conflits politiques autour de l'indépendance nationale et des voies de développement se mêlent aux affrontements religieux, culturels et communautaires. Ce changement de paradigme avait été parfois encouragé par l'Occident dans le passé. Aujourd'hui, la débâcle américaine en Irak donne à Téhéran de nouvelles occasions de reprendre le flambeau du nationalisme arabe sous la bannière de l'islam.

    La République islamique apparaît comme le champion d'un nouveau front de lutte associant le nationalisme arabe et la vague montante de la résistance islamique. Elle dispose pour cela d'atouts majeurs : elle peut faciliter ou compliquer la situation des troupes américaines ; elle peut aider à mettre les Israéliens en échec au Liban grâce à ses alliés du Hezbollah ; elle peut même tendre une main secourable aux Palestiniens à travers son soutien au Hamas. Son influence s'étend jusqu'aux régions pétrolières du Golfe et de l'Arabie saoudite à majorité chiite. Plus encore, elle est en position de combler l'immense vide de pouvoir régional créé par la destruction de l'Etat irakien, de peser sur le conflit israélo-palestinien et de transformer la nature même des relations séculaires entre chiites et sunnites.

    Les menaces, notamment militaires, des Etats-Unis et d'Israël ne font que renforcer l'importance stratégique de l'Iran et mettent en valeur son statut d'avant-garde de la résistance du monde arabo-musulman. D'autant que Washington et Tel-Aviv se débattent dans une contradiction : ils sont persuadés de la nécessité d'une intervention armée, mais savent qu'elle ne peut être que limitée à des bombardements aériens et à des opérations des forces spéciales. Toutefois, une telle attaque ne peut détruire le régime, au contraire. Est-ce pour cette raison que le président et le vice-président américains envisagent l'utilisation de l'arme nucléaire (6) ? Certes, les conséquences d'une telle aventure sur le plan régional et international seraient incalculables. Mais il faut bien que les Etats-Unis rétablissent leur crédibilité et suscitent à nouveau la peur qui fonde tout empire.

    Une autre stratégie discutée à Washington consiste à exploiter la division confessionnelle avec l'aide de l'Arabie saoudite. Deux tendances contradictoires sont à l'œuvre. La première, c'est le rapprochement entre sunnites et chiites, particulièrement depuis la guerre du Liban de l'été 2006, qui a révélé les affinités évidentes entre Téhéran et le Hezbollah, transformant le cheikh Hassan Nasrallah en héros dans le monde arabe, et à un moindre degré le Hamas. Fait sans précédent, des religieux sunnites respectés affirment désormais que les différences avec les chiites concernent des aspects mineurs de la religion - des foru' plutôt que des osul (7). La seconde tendance, ce sont les tensions que l'occupation a fait resurgir entre les deux familles de l'islam - particulièrement en Irak. D'autant que, depuis des siècles, les populations chiites, concentrées dans des régions stratégiques, y ont souvent été traitées avec mépris par les pouvoirs sunnites : d'où le terreau fertile de leur ressentiment et de leur colère. A l'inverse, les exactions des milices chiites et l'exécution honteuse de Saddam Hussein poussent les sunnites à la haine.

    Certains responsables américains pensent que Riyad pourrait devenir le pourvoyeur de fonds d'un mouvement sunnite de résistance aux chiites déviants. Le régime saoudien est en effet très hostile au développement de l'influence dans la région de la théologie chiite et de la République islamique. Et il a déjà promis, si nécessaire, de protéger les sunnites irakiens. L'Arabie saoudite et les monarchies du Golfe, l'Egypte, la Jordanie, les Kurdes, les sunnites irakiens et libanais, et le Fatah peuvent-ils contrer l'influence de l'Iran chiite, de la Syrie alaouite et de leurs alliés, le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien ? Pour être crédibles, les « modérés » arabes devraient pouvoir offrir une solution équitable et rapide au problème palestinien. Mais, si les Etats-Unis et Israël se lancent dans cette aventure, c'est pour se dérober à tout compromis sérieux.

    « Doubler la mise »

    Une telle stratégie de tension confessionnelle conduirait à une guerre civile entre musulmans. Ceux qui y participeraient seraient perçus comme des agents qui déchirent la région pour le compte d'Israël et des Etats-Unis. Et quelles forces musulmanes, sunnites et anti-chiites, aiderait-on ? Les opinions occidentales et même américaine risquent de découvrir avec effroi que leur gouvernement est de nouveau en train de constituer des « armées salafistes du djihad » - Al-Qaida sous un autre nom. Un tel scénario ne conduirait pas à la « victoire », mais à une série de nouvelles crises.

    Cette stratégie, les néoconservateurs la qualifient d'instabilité constructive (ou de destruction créatrice), mais un observateur intelligent la baptise de façon plus adéquate destruction des Etats (« staticide ») (8). Les Etats-Unis ont fini par accepter une telle orientation au Liban et en Palestine. Si l'on examine les résultats et non les intentions, on peut comprendre pourquoi les Arabes et les musulmans concluent que la politique de Washington au Proche-Orient n'est pas de sauver des « Etats en faillite », mais de les produire.

    L'attaque contre le Liban, qui a provoqué beaucoup de destructions, a débouché sur une défaite : Israël s'est un peu plus isolé dans la région et le monde ; militairement, le Hezbollah n'a jamais perdu sa capacité à communiquer avec ses combattants, à diffuser via la radio et la télévision ses messages à la population, à infliger des pertes aux envahisseurs ou à envoyer des roquettes sur Israël (9). Les Israéliens n'ont atteint aucun de leurs objectifs déclarés, ni le désarmement du Hezbollah ni le retour de leurs soldats capturés.

    La question qui se pose pour Israël au Liban, comme pour les Etats-Unis en Irak, est de savoir s'ils peuvent accepter ces revers ou s'ils seront tentés de « doubler la mise ». Ces défaites sont-elles les signes annonciateurs de guerres de nouvelle génération ? Ou sont-elles seulement temporaires ? Une chose est certaine : le modèle de victoire avec « zéro mort » prôné pendant la guerre du Golfe (1990-1991) ou dans les Balkans, via des bombardements massifs et l'utilisation d'armes de pointe, est révolu. L'enjeu est désormais le contrôle à long terme et l'allégeance de populations que les forces aériennes ne peuvent garantir et qui exige un coût politique et humain important.

    Washington a déjà payé un prix fort pour son rôle dans cette petite guerre. L'image du premier ministre libanais Fouad Siniora, les larmes aux yeux, implorant les Etats-Unis d'empêcher la destruction de son pays peut être considérée comme un tournant. Le mouvement du 14-Mars avait pris le pouvoir grâce à une « révolution du Cèdre » soutenue par la Maison Blanche, louée comme le type même de réforme démocratique que le président George W. Bush souhaitait encourager dans le monde arabe. Mais, face au désir d'Israël d'infliger une leçon au Liban, M. Siniora fut abandonné. Non seulement Washington empêcha tout cessez-le-feu pendant un mois, mais il ravitailla Israël en armes destructrices.

    Il en est résulté ce que M. Siniora a décrit comme une destruction « inimaginable » de l'infrastructure civile libanaise (10), et aussi un affaiblissement du gouvernement lui-même. Le Hezbollah exige aujourd'hui de jouer un rôle plus important et, dans une « révolution du Cèdre » inversée, il organise ses propres manifestations de rue, massives, pacifiques et disciplinées, mimant les tactiques encouragées par les Etats-Unis et l'Occident. « Ne craignant pas de prendre partie » dans cette lutte interne, les Etats-Unis doublent maintenant leur aide à l'armée libanaise et aux Forces de sécurité intérieure, qui intensifient leur recrutement parmi les sunnites et les druzes (11). Ces politiques, peu commentées aux Etats-Unis, sont dénoncées dans la presse arabe, israélienne et mondiale. Après cette guerre, il sera très difficile de persuader le monde arabo-musulman que les Etats-Unis ne sont pas prêts à trahir tout allié ou tout principe de justice dans le seul but de soutenir Israël.

    Destruction de l'infrastructure civile, affaiblissement de sa cohérence sociale et politique, création d'une logique conduisant vers un conflit confessionnel et une guerre civile : quand cette dynamique s'est accélérée en Irak, il semblait qu'il s'agissait d'une terrible conséquence non planifiée par Washington. Lorsque ces mêmes éléments se retrouvent au Liban, on peut encore évoquer une malheureuse coïncidence. Mais dès lors qu'une dynamique similaire se dessine en Palestine, de nombreux observateurs n'hésitent plus à parler de « modèle » de la stratégie américaine.

    En Palestine, un chaos provoqué

    Les territoires palestiniens vivent une crise humanitaire de grande ampleur. Depuis la victoire du Hamas aux élections de janvier 2006, les Etats-Unis et l'Union européenne se sont joints à Israël pour tenter d'affamer les Palestiniens et de les pousser à rejeter leur gouvernement démocratiquement élu. Les résultats prévisibles de ces attaques sont l'effondrement de l'ordre social et le glissement vers un conflit civil.

    Un observateur américain clairvoyant décrit ainsi le paysage tourmenté : « Les Palestiniens de Gaza vivent enfermés dans un ghetto sordide et surpeuplé, cernés par l'armée israélienne et une énorme barrière électrique ; il leur est impossible de quitter ou de pénétrer dans la bande de Gaza et ils subissent des assauts quotidiens. (...) Les tentatives israéliennes d'orchestrer un effondrement des lois et de l'ordre, de semer le chaos et de provoquer une pénurie généralisée sont visibles dans les rues mêmes de Gaza-city, où les Palestiniens passent devant les décombres du ministère de l'intérieur palestinien, du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'économie nationale, du bureau du premier ministre palestinien et de quelques institutions éducatives qui ont été bombardés par l'aviation israélienne. (...) Et la Cisjordanie sombre rapidement dans une crise semblable à celle de Gaza. (...) Qu'est-ce que les Etats-Unis et Israël comptent gagner en faisant de Gaza et de la Cisjordanie une version miniature de l'Irak ? (...) Croient-ils qu'ils parviendront ainsi à affaiblir le terrorisme, à freiner les attentats-suicides et à instaurer la paix (12) ? »

    Une nouvelle étape a été franchie avec la livraison d'armes par les Etats-Unis, aidés d'Israël, « aux militants de la Force 17 à Gaza liés à l'homme fort du Fatah Mohammed Dahlan » ; « selon des représentants officiels des services de sécurité israéliens et palestiniens, ces livraisons d'armes américaines ont déclenché une course à l'armement avec le Hamas (13) ».

    Quelles que soient les intentions, la logique de désintégration sociale et de guerre civile se déploie, via la politique américaine, dans trois pays identifiés par Israël comme des lieux de résistance à ses ambitions régionales. Il existe un noyau dur de sionistes de droite qui souhaitent assujettir les Palestiniens ou les déplacer de tous les territoires convoités par Israël. Pour y parvenir, ils veulent affaiblir tous les voisins récalcitrants. Il est effrayant, mais peu surprenant, de voir de tels fanatiques occuper des positions de pouvoir dans le gouvernement israélien. Il est choquant de penser que Washington puisse suivre, voire être l'artisan d'une telle stratégie destructrice et autodestructrice, au nom d'une fausse idée de ce qu'est un ami d'Israël.

    Si les Etats-Unis étaient vraiment des amis d'Israël, ils devraient non seulement être réticents à s'engager dans cette voie, mais partager cette remarque d'une observatrice israélienne : « La politique d'Israël ne menace pas uniquement les Palestiniens mais aussi les Israéliens eux-mêmes... Un petit Etat juif de sept millions d'habitants (dont cinq millions et demi de Juifs), entouré de deux cents millions d'Arabes, se fait l'ennemi de tout le monde musulman. Il n'y a pas de garantie qu'un tel Etat puisse survivre. Sauver les Palestiniens signifie également sauver Israël (14). »

    Ce n'est pas qu'au Proche-Orient que la défaite des Etats-Unis paraît possible. Plus à l'est aussi, en Afghanistan, ils sont soumis à rude épreuve. Après le 11-Septembre, personne ne doutait que Washington avait le droit de poursuivre par la force M. Oussama Ben Laden et Al-Qaida. La décision de déclencher une vaste opération militaire impliquant l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) afin de reconstruire l'infrastructure politique du pays était cependant risquée. Pour réussir, il fallait une victoire militaire décisive, suivie d'un solide engagement financier et politique de longue haleine visant une réforme de la société, en s'appuyant sur des partenaires locaux fiables et respectés également engagés dans la voie de la réforme. Ajoutons que le détournement vers l'Irak de forces et de ressources cruciales dans la chasse à Al-Qaida indique le caractère secondaire que revêt l'Afghanistan aux yeux de l'administration Bush, malgré le lien direct de ce pays avec les attaques du 11-Septembre. C'est dire que la « guerre contre le terrorisme » cachait des objectifs moins avouables.

    Sur le terrain, les Etats-Unis se sont reposés sur les chefs de guerre de l'Alliance du Nord pour obtenir des résultats rapides, et se sont appuyés sur un président importé pour bricoler un semblant de gouvernement central à Kaboul. Ils ont été incapables d'éliminer les chefs d'Al-Qaida et des talibans, délaissant vite le terrain afghan au profit de l'Irak. MM. Ben Laden et Ayman Al-Zawahiri continuent à diffuser des cassettes ; et les talibans, qui ont maintenu des liens étroits avec les tribus pachtounes des deux côtés de la frontière pakistano-afghane, se regroupent et constituent une réelle menace pour les troupes de l'OTAN, cloîtrées dans des camps, et ne se manifestant que pour exécuter des raids et des bombardements aériens (15). Le ministre des affaires étrangères pakistanais est même allé jusqu'à déclarer que l'OTAN devait « accepter la défaite » et que ses troupes devaient se retirer.

    La tentative maladroite de Washington de mener une bataille claire et noble contre Al-Qaida s'est fourvoyée non seulement du fait de la complexité des tribus et chefs de guerre afghans, mais aussi en raison du jeu dangereux et compliqué du Pakistan (lire « Entre Washington et les talibans, les ambiguïtés du Pakistan »). Celui-ci, dans sa bataille vitale pour le Cachemire, doit miser sur ses propres groupes islamistes. Islamabad appelle ainsi l'OTAN et le gouvernement afghan à accepter l'inévitable présence en Afghanistan de « talibans modérés », auxquels il a d'ailleurs cédé le contrôle d'une de ses régions - le Waziristan nord. S'installe de ce fait une base à partir de laquelle les « talibans-pas-si-modérés » attaquent les soldats de l'OTAN et recourent même maintenant, chose jamais vue dans ce pays, à la technique des « attentats-suicides » : la connexion avec l'Irak serait-elle devenue réalité ? Du coup, la « guerre contre le terrorisme » a fini par rendre les Etats-Unis dépendants du Pakistan, qui, lui-même, se trouve dans une alliance structurelle avec l'islamisme radical. De surcroît, les élites et le régime pakistanais croient leur pays protégé de l'islamisation rampante par les hiérarchies traditionnelles qui caractérisent cette société. Et si la « pakistanisation » d'Al-Qaida se muait en « al-qaidisation » du Pakistan ? Les médias américains ignorent ce phénomène inquiétant.

    Un arc de crise s'étend donc des pays du Levant jusqu'au sous-continent indien. Dans les prochains mois, des décisions seront prises, avant tout à Washington, qui exacerberont ces crises ou les engageront sur de nouvelles voies plus favorables. Pour opérer ce tournant, les dirigeants occidentaux devront comprendre qu'Al-Qaida, le Baas, le Hezbollah, le Hamas, la Syrie ainsi que l'Iran ne peuvent pas être tous classés sous la même étiquette idéologique abstraite de l'« axe du mal ». Des liens existent entre les crises, mais il faut aussi chercher à découpler et désamorcer leurs divers composants.

    La Syrie, un adversaire gérable

    Ainsi de la Syrie, un pays qui ne menace pas les Etats-Unis, qui les a déjà aidés à plusieurs occasions et qui a également ses propres intérêts nationaux légitimes en jeu : il faudrait arriver avec elle à un accord sur l'évacuation du plateau du Golan, dont l'occupation par Israël n'est d'aucun profit pour les Etats-Unis. De même pour le Hezbollah au Liban et le Hamas en Palestine, qui agissent surtout en fonction de leurs intérêts nationaux. Les Etats-Unis peuvent se débarrasser d'un certain nombre de problèmes et faire par là avancer leurs propres intérêts, y compris la défaite du vrai « terrorisme » fanatique. Pour cela, ils doivent reconnaître que tous ces groupes ne sont pas des succursales ou des clones d'Al-Qaida, et qu'ils ne le deviendront pas plus que le Vietnam n'est devenu l'outil d'un « empire du mal ». Des négociations pourraient faire de chacun de ces Etats ou de ces mouvements des adversaires gérables.

    Des voix influentes au cœur du système politique américain exigent un changement de cap : le rapport Baker-Hamilton en est l'expression la plus évidente. De son côté, l'ancien président James Carter a appelé à ouvrir un débat honnête sur la politique américaine en Palestine. Pour réparer les dégâts déjà causés, il faudrait admettre que de mauvaises décisions ont été prises et aller vers de très sérieux infléchissements politiques. Cela exigerait de renoncer à l'idée que la seule utilisation de la force militaire unilatérale peut résoudre des problèmes politiques et sociaux complexes. Cela exigerait aussi de renoncer à un soutien inconditionnel à Israël. Et, par-dessus tout, cela demanderait d'abandonner l'idée que les divers peuples et nations du monde arabo-musulman sont des éléments interchangeables s'inscrivant dans un même schéma idéologique, manipulable à volonté pour les besoins des grandes puissances, pour les ambitions territoriales des colons israéliens ou pour les rêves d'oumma imaginaire d'Al-Qaida. Il est temps d'en finir avec l'approche idéologique, et de renouer avec le réalisme.

    Titre, accroche et intertitres sont de la rédaction.  LE MONDE DIPLOMATIQUE

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  • EHREN WATADA, Etats-Unis • Un homme debout
     

    Ehren Watada, 28 ans, lieutenant dans l'armée américaine. Pour avoir

    refusé de participer à la guerre d'Irak, qu'il juge illégale et immorale, il

    comparaît en cour martiale depuis le 5 février. Il risque jusqu'à quatre

    ans de prison.


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