• Yizhar Smilansky

    Yizhar Smilansky

     

    SOUS ISRAëL, LA PALESTINE

    Visages de l'exil

    C'est en pleins combats de la guerre d'Indépendance que se situe l'action de ces trois nouvelles hors du commun de S. Yizhar, Convoi de minuit, Hirbat-Hiza et Le Prisonnier, parues pour la première fois en Israël entre 1948 et 1950. « Regrouper les habitants (en vue du transfert des populations autochtones hors des frontières) ; détruire à l'explosif les bâtiments de pierres et incendier les bicoques construites en matériaux sommaires » , « brûler - dynamiter - capturer - embarquer - expulser ». Telles sont les missions que le soldat israélien de Hirbat-Hiza, l'écrivain lui-même, qui fut aussi un combattant, doit exécuter sans se poser de questions. Mais voilà, il ne cesse de s'en poser, jusqu'à la nausée. Sur la nature de la guerre qu'il mène. Sur la nécessité de la désobéissance et la peur de mourir. Sur l'instinct de survie et ses compromissions.

    S. Yizhar, de son vrai nom Yizhar Smilansky, est sans conteste le plus grand écrivain israélien de sa génération (1). Né en 1916 dans la mochava de Rehovot encore sous mandat britannique, il est issu d'une famille d'écrivains juifs d'origine russe, dont Moshe Smilansky, son père, qui contribua d'une manière décisive au développement de la presse en Israël. S. Yizhar publie ces nouvelles dérangeantes mais fondatrices de la littérature hébraïque à une époque où l'on avait plutôt le coeur à l'action et non à la réflexion. Hirbat-Hiza déclenche notamment des débats virulents qui mettront plusieurs années à s'apaiser. Bien qu'il fût un fidèle de Ben Gourion, c'est sa propre rectitude morale et les mouvements de sa conscience qui poussent S. Yishar à jeter la lumière sur la responsabilité de chacun dans la constitution d'un destin collectif.

    Dans Hirbat-Hiza, nom fictif d'un village arabe comme tant d'autres, l'armée procède à l'évacuation de la population : il ne reste plus que femmes, enfants, vieillards, aveugles, infirmes, malades, les hommes sont tous partis le matin. « Les maisons semblaient avoir été abandonnées depuis longtemps. Provoquant la fuite des habitants avant l'heure, la rumeur et la peur avaient porté leurs fruits.Un silence de mort dans lequel tant de peines, de bonheur, d'amour, d'espoir et de ténacité avaient été laissés comme sans sépulture. »

    Les habitants n'opposent aucune résistance et montent dans les camions qui vont les transporter au-delà des frontières. Beaucoup semblent ne pas comprendre ce qui leur arrive. « Ce qui est sûr, c'est qu'ils étaient dociles comme des brebis et qu'ils ne posaient pas de questions. Certains craignaient-ils une exécution massive ? » Il y a aussi le regard d'un enfant encore inoffensif, dont le narrateur sait déjà qu'« il nous garderait rancune et nourrirait en grandissant une exécration à notre égard aussi venimeuse que la morsure d'un serpent... » . C'est alors que S. Yizhar a comme un éclair de lucidité : « L'exil, c'est cela, voilà le vrai visage de l'exil. Jamais je n'avais été contraint de quitter la terre où j'étais né, jamais je n'avais ressenti ce qu'être déraciné signifie. Mais je savais par les livres et les journaux, par les histoires que j'avais entendu raconter, car le mot "diaspora" était sur toutes les lèvres, plainte immémoriale du peuple juif, laquelle m'habitait, sans que j'en fusse conscient, depuis probablement ma prime enfance. De quel crime nous rendions-nous à présent coupables ? »

    C'est ainsi que Hirbat-Hiza deviendra Hirbat-la-juive et que personne ne se « soucierait du jour où nous l'avions conquise pour en chasser les habitants... Des familles s'implanteraient, s'enracineraient, tel l'arbre au fond de la rivière. Pour longtemps, car les "méchants" n'étaient pas près de revenir. Les camions les emporteraient et une page serait enfin tournée. N'était-ce pas notre privilège de vainqueurs ? Après deux mille ans d'exil et les persécutions en Europe, nous étions à présent les Maîtres. »

    Rita Sabah.

    le monde diplomatique

     


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