• Pourquoi s'attendrir sur les brutes
    quand les êtres raisonnables sont si malheureux ?

     

     

    On m'a souvent accusée de plus de sollicitude pour les bêtes que pour les gens : pourquoi s'attendrir sur les brutes quand les êtres raisonnables sont si malheureux ?

    C'est que tout va ensemble, depuis l'oiseau dont on écrase la couvée jusqu'aux nids humains décimés par la guerre. La bête crève de faim dans son trou, l'homme en meurt au loin des bornes.

    Et le cœur de la bête est comme le cœur humain, son cerveau est comme le cerveau humain, susceptible de sentir et de comprendre. On a beau marcher dessus, la chaleur et l'étincelle s'y réveillent toujours.

    Jusque dans la gouttière du laboratoire, la bête est sensible aux caresses ou aux brutalités. Elle a plus souvent les brutalités : quand un côté est fouillé, on la retourne pour fouiller l'autre ; parfois malgré les liens qui l'immobilisent, elle dérange dans sa douleur le tissu délicat des chairs sur lequel on travaille : alors une menace ou un coup lui apprend que l'homme est le roi des animaux ; parfois aussi pendant une démonstration éloquente, le professeur pique le scalpel dans la bête comme dans une pelote : on ne peut pas gesticuler avec cela à la main, n'est-ce pas ? et puisque l'animal est sacrifié, cela ne fait plus rien.

    Est-ce que toutes ces démonstration-là ne sont pas connues depuis longtemps aussi bien que les soixante et quelque opérations qu'on fait à Alfort sur le même cheval ; opérations qui ne servent jamais, mais qui font souffrir la bête qui tremble sur ses pieds saignants aux sabots arrachés.

    Ne vaudrait-il pas mieux en finir avec tout ce qui est inutile dans la mise en scène des sciences ? Tout cela sera aussi infécond que le sang des petits enfants égorgés par Gille de Rez et d'autres fous dans l'enfance de la chimie. Une science, au lieu d'or, est sortie des creusets du grand œuvre ; mais elle en est sortie suivant le procédé de la nature des éléments que la chimie décompose et recomposera un jour.

    Peut-être l'humanité nouvelle, au lieu des chairs putréfiées auxquelles nous sommes accoutumés, aura des mélanges chimiques contenant plus de fer et de principes nutritifs que n'en contiennent le sang et la viande que nous absorbons.

    Eh bien, oui, je rêve, pour après le temps où tous auront du pain, le temps où la science sera le cordon bleu de l'humanité ; sa cuisine ne flattera peut-être pas autant au premier moment le palais de la bête humaine, mais ce ne sera pas trichiné ni pourri, et refera aux générations, exténuées des longues famines ou des longs excès des ancêtres, un sang plus fort et plus pur.

    Tout sera alors pour tous, même les diamants, car la chimie saura cristalliser le charbon, comme elle sait du diamant consumé refaire la cendre d'un charbon.

    Il est probable qu'à ce moment-là bien d'autres richesses et de plus beaux triomphes que le diamant vulgarisé appartiendront à la science qui se servira de toutes les forces de la nature.

     

    Louise Michel,
    Mémoires de Louise Michel. Ecrits par elle-même,

    Paris, Maspéro, 1976, pp.97-98.

     


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  • SUR LA PLANETE TERRE, tandis qu'en france on a ca :


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  • Yizhar Smilansky

     

    SOUS ISRAëL, LA PALESTINE

    Visages de l'exil

    C'est en pleins combats de la guerre d'Indépendance que se situe l'action de ces trois nouvelles hors du commun de S. Yizhar, Convoi de minuit, Hirbat-Hiza et Le Prisonnier, parues pour la première fois en Israël entre 1948 et 1950. « Regrouper les habitants (en vue du transfert des populations autochtones hors des frontières) ; détruire à l'explosif les bâtiments de pierres et incendier les bicoques construites en matériaux sommaires » , « brûler - dynamiter - capturer - embarquer - expulser ». Telles sont les missions que le soldat israélien de Hirbat-Hiza, l'écrivain lui-même, qui fut aussi un combattant, doit exécuter sans se poser de questions. Mais voilà, il ne cesse de s'en poser, jusqu'à la nausée. Sur la nature de la guerre qu'il mène. Sur la nécessité de la désobéissance et la peur de mourir. Sur l'instinct de survie et ses compromissions.

    S. Yizhar, de son vrai nom Yizhar Smilansky, est sans conteste le plus grand écrivain israélien de sa génération (1). Né en 1916 dans la mochava de Rehovot encore sous mandat britannique, il est issu d'une famille d'écrivains juifs d'origine russe, dont Moshe Smilansky, son père, qui contribua d'une manière décisive au développement de la presse en Israël. S. Yizhar publie ces nouvelles dérangeantes mais fondatrices de la littérature hébraïque à une époque où l'on avait plutôt le coeur à l'action et non à la réflexion. Hirbat-Hiza déclenche notamment des débats virulents qui mettront plusieurs années à s'apaiser. Bien qu'il fût un fidèle de Ben Gourion, c'est sa propre rectitude morale et les mouvements de sa conscience qui poussent S. Yishar à jeter la lumière sur la responsabilité de chacun dans la constitution d'un destin collectif.

    Dans Hirbat-Hiza, nom fictif d'un village arabe comme tant d'autres, l'armée procède à l'évacuation de la population : il ne reste plus que femmes, enfants, vieillards, aveugles, infirmes, malades, les hommes sont tous partis le matin. « Les maisons semblaient avoir été abandonnées depuis longtemps. Provoquant la fuite des habitants avant l'heure, la rumeur et la peur avaient porté leurs fruits.Un silence de mort dans lequel tant de peines, de bonheur, d'amour, d'espoir et de ténacité avaient été laissés comme sans sépulture. »

    Les habitants n'opposent aucune résistance et montent dans les camions qui vont les transporter au-delà des frontières. Beaucoup semblent ne pas comprendre ce qui leur arrive. « Ce qui est sûr, c'est qu'ils étaient dociles comme des brebis et qu'ils ne posaient pas de questions. Certains craignaient-ils une exécution massive ? » Il y a aussi le regard d'un enfant encore inoffensif, dont le narrateur sait déjà qu'« il nous garderait rancune et nourrirait en grandissant une exécration à notre égard aussi venimeuse que la morsure d'un serpent... » . C'est alors que S. Yizhar a comme un éclair de lucidité : « L'exil, c'est cela, voilà le vrai visage de l'exil. Jamais je n'avais été contraint de quitter la terre où j'étais né, jamais je n'avais ressenti ce qu'être déraciné signifie. Mais je savais par les livres et les journaux, par les histoires que j'avais entendu raconter, car le mot "diaspora" était sur toutes les lèvres, plainte immémoriale du peuple juif, laquelle m'habitait, sans que j'en fusse conscient, depuis probablement ma prime enfance. De quel crime nous rendions-nous à présent coupables ? »

    C'est ainsi que Hirbat-Hiza deviendra Hirbat-la-juive et que personne ne se « soucierait du jour où nous l'avions conquise pour en chasser les habitants... Des familles s'implanteraient, s'enracineraient, tel l'arbre au fond de la rivière. Pour longtemps, car les "méchants" n'étaient pas près de revenir. Les camions les emporteraient et une page serait enfin tournée. N'était-ce pas notre privilège de vainqueurs ? Après deux mille ans d'exil et les persécutions en Europe, nous étions à présent les Maîtres. »

    Rita Sabah.

    le monde diplomatique

     


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  • Loin d'être un obscur philosophe médiéval, Al-Farabi fut appelé le "Second Maître" par Averroès (Ibn Roschd) et Maïmonide, le "Premier Maître" n'étant autre qu'Aristote, qui, aux yeux d'Averroès, passe pour avoir établi définitivement la gloire de la philosophie. Al-Farabi est l'un des premiers à étudier, à commenter et à répandre parmi les Arabes la connaissance d'Aristote. Fils d'une famille noble, dans laquelle le père aurait exercé un commandement militaire à la cour türk vassale du califat abbasside arabe de Bagdad, Abu Nasr Al-Farabi part se former dans la capitale califale. À Bagdad (actuel Iraq), il étudie la grammaire, la logique, la philosophie, les mathématiques, la musique et les sciences. Al-Farabi y suit les enseignements de Abu Bishr Matta ben Yunus et fréquente les philosophes chrétiens nestoriens héritiers de la translatio studiorum des Grecs vers le monde arabe, du fait de la fermeture des écoles philosophiques païennes d'Athènes par Justinien en 529. Cette fermeture marque, on l'oublie trop souvent, la fin de l'Académie de Platon. Toujours est-il que les philosophes grecs platoniciens se réfugient à Alexandrie, à Harran et à Antioche en Turquie, avant d'essaimer vers Bagdad. L'exode des philosophes grecs donne lieu à d'intenses traductions du grec en syriaque et du syriaque vers l'arabe. Al-Farabi va fréquenter certains de ces traducteurs, comme Yuhanna (Johannes) ben Haylan. Son éloquence, ses talents dans la musique et la poésie lui concilièrent l'estime du sultan de Syrie, Seïf-ed-Daulah, qui voulut l'attacher à sa cour. Mais Al-Farabi s'en excusa et partit : il fut tué par des voleurs en route. Selon une autre version, il passa la plus grande partie de sa vie à la cour de Syrie, pensionné par le prince. Il fut le maître à penser d'Avicenne (indirectement, celui-ci étant né en 980). En 943, Al-Farabi s'installe à Alep, puis voyage en Égypte, pour revenir mourir à Damas en 950. Œuvre et pensée [modifier] Al-Farabi est un philosophe (il travaille sur les textes de Platon et d'Aristote) qui vit dans un contexte troublé, celui du rapport entre l'Islam et les successeurs politiques du Prophète. Le califat central se morcelle en émirats et en États qui se veulent indépendants. Les détails de la science de la religion et du droit musulman (fiqh) structurent les détails et les discussions qui se développent au sein de la vie intellectuelle en pays d'Islam. Cette vie n'est pas monolithique. Al-Farabi, qui est un esprit encyclopédique, s'intéresse particulièrement à la question du régime politique. Il publie un certain nombre de textes qui sont des commentaires, ou des synthèses personnelles sur la philosophie de Platon et d'Aristote : « L'Accord des Philosophes Platon et Aristote », une énumération des Dialogues de Platon, un ouvrage consacré aux Opinions des habitants de la Cité vertueuse et un Sommaire des Lois de Platon. Bien que parlant d'Aristote (dont au demeurant les Arabes médiévaux semblent totalement ignorer l'ouvrage sur Les Politiques), Al-Farabi consacre tous ses efforts à la philosophie politique de Platon. Il commente La République et distingue deux types d'enseignement : l'enseignement de Socrate et l'enseignement de Thrasymaque (le personnage violent mis en scène dans La République). L'enseignement de Socrate est doux et s'adresse aux philosophes ; mais Socrate périt sous l'accusation d'impiété. L'enseignement de Thrasymaque est un enseignement capable de manipuler les opinions et les passions qui couvent dans la Cité. Il peut aussi bien exciter la Cité que la calmer. C'est dans ces qualités que l'on trouve la fibre du législateur. Le style de Al-Farabi est un style ésotérique, ou qui emprunte des motifs ésotériques (conformément à des traditions numérologiques qui sont répandues partout).

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  • Fidel Castro sur le front du quatrième pouvoir Elu à la têt e de l'Etat cubain par la nouvelle Assemblée, le 24 février, pour un mandat de cinq ans, M. Raul Castro a succédé à son frère Fidel. Il a sollicité de l'Assemblée l'autorisation de « consulter » son frère « sur les décisions d'importance spéciale pour l'avenir de la nation, surtout celles liées à la défense, la politique étrangère et le développement économique du pays ». Soumise à un vote immédiat, la proposition a été approuvée à l'unanimité et à main levée. C'est le 19 février, par un « message du commandant en chef » publié dans le quotidien de La Havane Granma, que M. Fidel Castro avait annoncé qu'il mettait un point final à sa longue et extraordinaire carrière politique en renonçant à être candidat à sa propre succession à la présidence de Cuba. Il demeure – pour le moment du moins – Premier secrétaire du Parti communiste de Cuba (PCC), ce qui est loin d'être une fonction mineure dans un système politique à parti unique. En principe c'est au cours d'un Congrès du PCC qu'il annoncerait son éventuelle démission du poste de Premier secrétaire, et il n'y a pas eu de Congrès depuis 1997. Jusqu'à présent, cette charge n'a jamais été dissociée de celle de chef de l'exécutif dans aucun pays communiste. Il est donc peu probable que M. Fidel Castro conserve son poste au sein du Parti, alors qu'il a aussi renoncé à être Président du Conseil des ministres (premier ministre) et au grade de commandant en chef des forces armées. De toute manière, son immense influence sur l'opinion publique cubaine perdurera. Il reste dans la lutte, même s'il change de front. Car, s'il a abandonné la présidence, c'est aussi, a-t-il dit dans son message, pour s'investir en quelque sorte dans le « 4e pouvoir » : il continuera d'écrire dans le journal de plus fort tirage de l'île, Granma, « organe central du Parti ». Dans son nouveau QG clandestin, il demeure donc le combattant qu'il a toujours été. Ses armes sont maintenant exclusivement les mots, et sa bataille plus que jamais celle des idées. C'est un champ — celui, comme dirait Gramsci, de l'hégémonie culturelle — sur lequel il s'est d'ailleurs toujours battu. Les journalistes qui, ces jours derniers en France, se sont bruyamment réjouis de son « retrait définitif », ont fait semblant d'oublier l'influence qu'exercent les médias sur l'opinion publique. M. Fidel Castro a précisé que les articles qu'il publie régulièrement, et qu'il n'a pas cessé d'écrire pendant sa longue convalescence, vont donc continuer de paraître. Seul le nom de la rubrique devrait changer : en lieu et place de « réflexions du commandant en chef », on lira désormais de simples « réflexions du camarade Fidel » (il vient d'ailleurs de réclamer que ses articles ne paraissent plus en « une » de Granma mais plus discrètement en page 2). Il y a fort à parier que les Cubains, tout comme les observateurs internationaux, continueront de le lire avec la plus grande attention car, comme « guide idéologique de la révolution », nul ne remplacera M. Fidel Castro.

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